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Credo maternel : plus que la lune

Chuchotée à voix basse, accompagnée d’un doux baiser, un rituel. Chuchotée à l’oreille, elle apaise, renforce le sentiment de sécurité qui permet d’affronter l’angoisse de la nuit, seul dans son lit. Chuchotée à voix basse, elle donne au simple doudou inerte, la puissance d’une armure.

Ce n’est pas une équation à une ou plusieurs inconnues, juste une simple formule.

Une formule qui mesure l’immesurable, une mesure de l’infiniment grand face à l’infiniment petit, au fond de son lit blotti sous ses peluches.

Je t’aime plus que la lune, plus que les étoiles, plus que le soleil…

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Un vendredi sur deux…

Si le spleen du dimanche soir tenaille nombreux d’entre nous, chez nous le vendredi avait une place à part…
Le jeudi, je la sentais monter… Cette petite pression qui me poussait à tout remettre à sa place : livres, pulls, chaussettes dépareillées…
S’affairer de part et d’autre, d’un coup d’œil rapide, repérer ce qui n’est pas à sa place…rectifier.
Noter, à faire : salle de bain, salon, cuisine… la liste s’allongeait rapidement… Et tout s’enchainait, linge repassé déposé dans les armoires, draps propres pour chaque lit, oreillers fraîchement tapotés, serviettes de toilettes soigneusement pliées.
Et même si de l’ordre au désordre, il n’y aurait qu’une nuit… du vendredi au samedi.
Et même si les armoires auraient bientôt des airs de chamboul-tout, les lits des allures de champs de bataille, les serviettes des utilisations hasardeuses car en boule dans un coin dans la salle de bain.
Tout devait être parfait.
Objectif, offrir une maisonnée soigneusement orchestrée qui sentait bon le propre et qui disait à ses petits occupants d’une semaine sur deux : je vous ai attendus.

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Invité à rester…

Elles peuvent être données « natures », chacun décide alors de lui donner « sa » forme. Celle qui la distinguera de l’empilement familial, pliée avec soin ou simplement jetée en bouchon…révélateur du tempérament de son utilisateur…
Ailleurs, elles se reconnaissent à l’aide d’un rond de bois ou d’une pochette en tissu. Quand les petits-enfants pointent leur bout de nez, « ces emblèmes » deviennent alors l’enjeu de mille convoitises : « je veux le rond de Maman quand elle était petite, la pochette de papa… ». Il faut alors user de diplomatie pour faire face aux réclamations enfantines et contenter tout ce petit monde… et de petits arrangements avec l’histoire familiale…

Lorsque vient l’heure de passer à table, si sur votre assiette se retrouve ce petit carré de douceur, vous pouvez vous détendre. Vous n’êtes pas un simple hôte de passage. Ici, on vous accueille avec attention, comme un membre de la tribu. Votre serviette, c’est votre pass. Vous êtes invité à rester…

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Peurs enfantines…

Elles sont là bien enfouies. Tapies dans l’ombre, prêtes à ressurgir tel un clown hors de sa boîte, dès que la nuit apparait et que pointe l’angoisse.
Le cœur qui bat de plus en plus vite, la gorge qui se noue, la respiration qui s’accélère… Depuis le dessous du lit, dans le noir obscur, depuis le placard endormi, elles sont là…et s’engouffrent dans nos pensées. Elles rodent, guettent.
Pour les combattre, nous déployons des trésors d’imagination : le saut magique depuis cette ligne imaginaire qui nous sauve de la main qui veut nous attraper, la veilleuse qui nous protège du noir profond, la chaise qui barre l’ouverture du placard…
Ma parade à moi ? Courir… courir le plus vite possible sans me retourner pour ne surtout pas penser, à cette vision que me glaçait le dos… Maléfique* au milieu des flammes… Et oui, Maléfique… sur le mur du fond du couloir… Elle m’attendait à chaque sortie de ma chambre… Entrebâiller la porte, jeter un bref coup d’œil, et courir sans se retourner…2m, 3m, arriver à la cuisine et prendre l’air détendue… même pas peur… Peur enfantine quand tu nous tiens !

*Maléfique, sorcière de la Belle au bois dormant… pour ceux qui auraient oublié…

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Trésors…

Madeleines de Proust pour les uns, encombrants pour les autres.

Elles sont toujours là, prêtes à reprendre du service, du fond du garage ou du haut du grenier. Elles ont été choisies avec soin, hautes pour les mâts des bateaux de pirates, plates pour les petits accessoires. Rangées par thèmes sous le regard vigilant de Maman, en vrac quand la patience des petites mains était usée…ou que Maman avait le dos tourné…
De la campagne à la ville, des petites aux grandes étapes de la vie familiale, elles sont de tous les déménagements, sont l’objet de toutes les attentions. Et gare à toi, si tu les entreposes, le temps de leur trouver une nouvelle adresse, chez une amie, elle aussi adepte de ces petits trésors, tu auras le droit à des : « j’espère que tu ne risques pas de les mélanger avec les siennes… »
Les trésors qu’elles abritent ont été choisis avec soin ; pompiers, pirates, cosmonautes, conducteurs de chantier, compilation des rêves secrets des parents.
Elles sommeillent paisiblement, avant de s’ouvrir à nouveau…toujours pleines de playmo…

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L’album photos

Un ton léger et tout commence… alerte, alerte… le calme avant la tempête…
Frères, sœurs tous affalés parmi les coussins du canapé ; après une belle balade, une sortie en canoé, une séance de surf, après avoir dégusté le plat mitonné avec tendresse par la mère heureuse d’avoir à nouveau sa nichée autour elle, englouti leur dessert préféré, vidé la dernière bouteille de la cave. Bref, repus de cette douce sensation d’être de retour à la maison.
Une fois les récits de la journée épuisés, les exploits des uns des autres racontés, les chutes raillées, un ange passe et tout à coup « la » bonne idée fuse : tu as enfin imprimé les albums et si on les regardait !
Patatra…

  • Mais où est mon album ? Evidemment tu as commencé par celui de Paul…
  • Y a pas de photo de moi à la maternité ! Déjà tu m’oubliais… C’est parce t’étais trop moche renchérit l’aîné.
  • Dans celui de 93, j’apparais 2 fois moins que Gabriele…la mauvaise foi de celui qui omet qu’il est né fin 93
  • T’as pas mis toutes mes photos de classe…ben voyons, pour mémoire elle les déchirait car elle ne se trouvait pas belle dessus
  • Et mes photos d’anniv, il manque mes 12, 13, 14 ans …amnésie d’une crise d’ado bien marquée…

En quelques secondes, nous étions passé de la soirée : whisky, café, chocolats, à la réunion jardin d’enfants…
Au secours, besoin d’un autre verre de rhum…
Mémo pour le prochain week-end familial, planquer les albums…

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Jeudi, c’est karaoké

Une simple envie de croque mayo frites… et je les ai découverts… attendrissants, bouleversants. Ils étaient tous là, la blonde platine sexagénaire avec son legging léopard, les deux compères célibataires en mal de compagnie, le veuf avec ses deux petites filles, la horde de collègues tout droit sorties du bureau…

A leur contact mon esprit s’envolait :
Gisèle, je la surnommais ainsi, était pomponnée à souhait, son parfum un peu trop fort, son rouge à lèvres un peu trop voyant détonnaient avec la fragilité qui émanait d’elle. Son regard à 360° laissait entrevoir sa détresse, rencontrerait-elle l’âme sœur, ce soir ?
Franck et Thierry aimaient faire la fête, ils parlaient fort de leurs dernières conquêtes, occasionnelles ou régulières.
Jean-Pascal ne ratait pas un jeudi, il voulait faire partager à ses filles la passion de leur maman. Son souvenir encore trop présent enlevait les sourires fugaces qui se dessinaient sur leurs visages. Autour d’une crêpe ou d’une glace leur mère revivait mais il fallait faire vite le lendemain il y avait école…
Daphnée et ses copines quant à elles voulaient oublier leur boulot morose mais ne pourraient s’empêcher de passer leur soirée à critiquer leur petit boss tyrannique.

Hétéroclite mélange réuni autour de la même attente…celle d’exister le temps de quelques notes de musique…
Je ne sais pas si l’addition de solitude crée le bonheur, mais les voir ainsi si fragiles était troublant. Un simple karaoké et c’étaient des tranches de vie qui défilaient.

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Fermer les volets

Le bois qui claque, le cliquetis de la ferronnerie.
Un petit geste, tout petit, anodin pour certains, corvée pour d’autres.
Une révélation ! Un choc même, la sensation inattendue de refermer une parenthèse.
Le doux sentiment d’ériger un rempart entre les autres et les miens.
Ces volets bleus, que je refermais pour la première fois, faisaient de moi la maîtresse des lieux.
Ces volets bleus signaient le début d’un nouveau monde, inconnu mais rempli de sécurité et surtout de promesses.
C’est, dans cette maison que nous allions nous réinventer : imaginer de nouvelles règles, souffler vos bougies, illuminer nos sapins… bien sûr il y aurait des portes qui claquent, des marches montées à grand bruit, mais à cet instant j’imaginais vos rires, câlins et pitreries !
C’est fou, un geste maintes et maintes fois effectué prenait ici, un sens insoupçonné, il clamait : vive notre nouvelle vie !

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Mon air à moi…

Connais-tu cette note qui a le pouvoir de te faire voyager ?
Chez moi, il est un air… qui me chatouille le ventre, qui m’ensorcèle. Avec lequel mes doigts se délient, mes mains ondulent, mes hanches se balancent.
Un air qui fait fureur à la maison.
Un air qui, lorsqu’il l’entend, mon petit monde se cache les yeux… « Ah non pas encore, pas ça, maman arrête… » tout y passe.
Un air que mes amis me dédicacent quand nous faisons la fête.
Un air qui ne me donne pas envie de battre la mesure mais plutôt de jeter mes chaussures, de laisser s’envoler mes mains et de dessiner des croches et des clés de sol avec les doigts. Arabesques, ondulations, plus rien ne m’arrête.
Un air qui fleure bon les pampilles et les tissus chatoyants.
Un air qui sent la cannelle, le miel et l’ambre.

Mon air à moi, est celui d’une danseuse… des mille et une nuits…

Et toi quel est le tien ?

Le serment du bassin

Avril 2022

Marie
Marie referme soigneusement le colis qu’elle vient de préparer. Elle ajuste le foulard qui couvre sa tête nue, note machinalement l’adresse du destinataire : Ama Baïta, 33120 le Moulleau. Elle termine la lettre d’instructions qu’elle donnera à son avocat et imagine sa surprise à la lecture de la destinataire.

Mai 2023

Vendredi

Gabrielle
Remontant l’allée, je me souviens… Je me souviens de mes tongs à pâquerettes, du sable roux qui pénètre entre mes doigts de pied, des petits cailloux ronds qui roulent, des épines de pin qui viennent ajouter des intrus…
Vivement la plage et son sable fin… au diable les tongs et les graviers !
Un virage, un autre et enfin je la vois, comme dans mes souvenirs, peut-être un peu plus petite mais qu’importe !
J’ai le coeur qui bat vite… L’émotion me gagne, elle est toujours là : la maison de mon enfance. Les jardinières débordent de géraniums…pour éloigner les moustiques comme le disait ma grand-mère quand elle déposait, pour compléter son arsenal anti bestioles, sur nos tables de nuit, un coton imbibé d’huile essentielle de citronnelle.
« Sur l’eau, exquise maison basque, six chambres, salon, salle à manger, un lieu enchanteur pour des vacances familiales hors du temps sur les plages du Moulleau », voilà comment une agence immobilière aurait pu la décrire.
Alors même si j’ai dû dire adieu à nombreux de ses occupants, leur souvenir tout à coup m’envahit. C’est comme si… Comme si à chaque instant ils allaient entrouvrir une fenêtre et m’appeler. Je perçois le bruit sourd du gong nous invitant à passer à table. Mes sens sont aux aguets… prêts à tout… le désir et l’imaginaire s’entremêlent. La force de l’esprit… j’entends leurs voix, respire leurs parfums, ils sont là avec moi. Comme j’aimerais avoir cinq ans et revivre ces doux moments. Je presse le pas, impatiente. Je serre entre mes doigts le trousseau donné, il y a quelques minutes, par l’agent immobilier. « Vous avez de la chance, un désistement de dernière minute. La villa est grande, vous comptez y séjourner seule ? ». Pensive, je mets du temps à répondre : « non, des amies arrivent, nous serons trois… non quatre ! », voilà mon unique réponse, il ne compte pas lui, alors pourquoi perdre du temps en banalités. J’arrive sous le porche de la villa, la serrure n’a pas été changée, il suffit de tourner la clé à l’envers et de donner un petit coup d’épaule pour l’ouvrir. Je referme la porte délicatement, retiens mon souffle, les meubles ne sont plus là mais la lumière est la même. L’imposant escalier n’a pas bougé et donne à l’entrée son caractère majestueux. Je ferme les yeux et tout me revient en mémoire, les fauteuils Morris, le tapis, la pendule à l’inimitable sonnerie de Big Ben. Cette sonnerie, ma madeleine de Proust à moi. Si bien qu’à Londres, lorsqu’elle retentit je m’imagine sur le bassin ! N’y tenant plus, je me dirige, fébrile vers le salon pour la voir… j’en suis sûre, elle n’aura pas changé… ma vue du bassin : les pins, le Perret, la plage, la mer, les bateaux aux corps morts…le combo parfait. D’instinct, je me positionne pour avoir dans mon champ de vision le cadrage idéal, celui imprimé dans ma mémoire. Oui, comme toujours c’est parfait.
Rapide, j’envoie un bref message à notre groupe, les quatre redoutables :
« Rendez-vous demain à la gare d’Arcachon, je viendrai vous chercher, soyez à l’heure. N’oubliez pas Marie sera avec nous ce week-end ! »
Je sais qu’elles attendent le top départ. À l’autre bout de la France, leur téléphone a dû faire sursauter les jeunes femmes.

Samedi

Gabriele
Depuis ce matin je m’active… Chambres, lits, salles de bain, tout doit être parfait. Laura et Aurore seront à l’étage, la grande chambre jaune du rez-de-chaussée sera réservée à Marie, je m’installerai en face, dans mon ancienne chambre. Incroyable, son papier peint n’a pas été changé, le décor champêtre de la toile de Jouy vieux rose m’invite comme toujours au vagabondage. Mon regard s’attarde sur mon vieux sac de plage, celui que je traînais sur la plage adolescente.

Aurore
Il est huit heures, Aurore jette un bref coup d’oeil à son salon. Il est parfait, parfaitement décoré, parfaitement rangé, le tout dans un style bohème chic, et pourrait faire la Une d’un magazine de déco ! Mais tellement triste depuis que le rire des enfants ne résonne plus… ce calme, cette angoisse… Elle retient une larme…se ressaisir, ne pas laisser la moindre place à la mélancolie, ni aux regrets. Et puis cela fait maintenant deux ans que Paul et Suzanne sont en garde alternée. Blonde, élancée au look casual chic, elle sait capter les regards même si aucun n’a trouvé grâce à ses yeux depuis le départ de Tom. Entre son taf de commerciale et ses enfants, elle n’a pas vraiment le temps. Et puis Nevers est une toute petite ville…

Laura
Laura, la rousse… et oui, même si elle préfère se présenter en tant que blonde vénitienne, elle l’admet de temps en temps à demi-mots… elle est plutôt rouquine…
Laura aux tâches de rousseur, Laura qui ne s’arrête jamais. Une agence de com, un mari, une fille : Emma, son portrait tout craché, un appartement à Paris, une maison à la campagne, dans le Berry évidemment pour voir les filles ! Sur le quai de la gare, Laura rajuste sa coiffure, resserre la ceinture de son trench, grimpe dans le train. Pas question de louper le premier rendez-vous à Tours.

Gabriele
Me baigner, je n’ai que cela en tête. Alors que je suis sur le sable, prête à profiter de ce moment, de mon moment… A la recherche d’une fouta, je fouille la poche de mon vieux sac de plage, et tombe sur une vieille enveloppe toute froissée. Je reconnais l’écriture de Marie : « serment du bassin » . Cinq minutes plus tard, assise face à la mer je replie soigneusement la feuille de cahier d’écolier, la replonge dans mon sac, une larme coule sur ma joue. Je repense à nous quatre, enfants, penchées sur ce cahier… Le paysage est apaisant, les bateaux dansent au bout des corps morts, la mer est bleue, des reflets argentés couleur « banc de sardines », comme je me plais à le raconter au téléphone à mon amant du moment. Les voiles colorées des planches se mêlent à celles des voiliers, voltigent telles un ballet de papillons devant mes yeux embués de larmes. Je murmure : nous serons bien quatre ce week-end…

Aurore-Laura
Sur le quai de la gare de Tours, telles deux lycéennes, Aurore et Laura se sont jetées dans les bras l’une de l’autre en hurlant et gesticulant ; une vraie danse de sioux maugrée un passant grincheux ! Après ce charivari vient le temps des questions : comment vas-tu ? Ton taf ? Tes enfants ? Les réponses et questions s’entremêlent. Après ces questions nécessaires mais plutôt futiles, le ton s’assagit et la partie commence enfin.
–  « Tu sais pourquoi Gabrielle a tenu à avancer notre week-end annuel ? demande, Aurore
–  « Non, répond Laura, elle m’a juste évoqué un problème d’agenda, mais je crois qu’elle voulait surtout honorer notre serment ».
Un ange passe, et les deux amies reprennent le flot de leur conversation.

Gabriele
Après un bref tour chez Boirie, l’ancestrale épicerie du Moulleau, où je fais le plein de fruits, légumes et bonnes bouteilles, je prends ma voiture direction la gare. Laura et Aurore m’attendent déjà sur le parking et notre joyeuse bande prend la direction du Moulleau. Des « Oh ! Ah! Toujours aussi magique la vue ! » ponctuent l’arrivée d’Aurore et Laura à la villa. Après avoir montré à chacune sa chambre, je m’octroie un repos bien mérité… dix minutes face à mon bassin, jamais non vraiment jamais je ne me lasserai de cette vue : mer scintillante, cris des mouettes, odeur des pins… Mon repos est de courte durée, très vite les doutes m’assaillent… La magie va-t-elle opérer ? Mes pensées s’évadent : Un taxi quitte l’allée, c’est Marie ! Marie qui fidèle à son amour pour le spectacle nous fait une apparition théâtrale. Capeline beige sur la tête, grand châle sur les épaules…une star ! Alors, mon comité d’accueil ? Tout se perd ici…lance-t-elle à la cantonade. Déjà les filles dévalent l’escalier criant « Marie ! Marie ! » Elles s’étreignent longuement. Un voile mélancolique passe sur mon visage, puis n’y tenant plus, je m’exclame « Dix-huit heures ! Apéro ! Mojito ! » Aussitôt dans un brouhaha, les filles dansent direction la cuisine où chacune s’active. Quelques minutes plus tard, assises dans les transats aux rayures bayadères (on est dans le pays basque, non !), un plateau à leurs pieds débordant de victuailles interdites : 4 Mojitos, bols de chips, saucissons, les filles papotent. Marie ne touche pas à son verre. Laura se lève et lance le premier toast : « à nous les filles, à nos amours, à toi Marie ! Yallah ! ». Le cri de ralliement de notre enfance dérange le voisin qui somnolait dans son transat. Il regarde hébété trois jeunes femmes qui dansent autour d’une table basse. Puis la soirée suit son court, enfants, maris, amants….une soirée filles ! Le lendemain matin, fidèle à mes habitudes, j’ouvre les volets du rez-de-chaussée. J’ai toujours aimé l’idée de faire entrer la lumière dans une maison. J’entre dans la chambre de Marie, pour procéder à mon rituel matinal, elle n’est pas là, son lit est fait. J’ignore le pincement au coeur qui monte et file préparer le petit déjeuner. Nous nous retrouvons toutes sur la terrasse. Aurore est heureuse d’annoncer « Voici nos cafés et le thé de Marie !  » Un bref coup de sonnette nous fait sursauter, « qui cela peut-il bien être ?  » râle Laura qui file ouvrir. Elle revient livide et pose un colis sur la table. Stupeur, le colis est adressé à Marie ! « Je me refuse à l’ouvrir » annonce-t-elle et retient Laura qui veut s’échapper. C’est Aurore qui fait preuve de courage et découvre un album photos. Sur la couverture inscrit en lettres d’or : le serment du bassin. Nous nous asseyons en rond sur le tapis du salon et découvrons les photos de notre enfance. Chaque été, nous venions en vacances chez nos grands-parents respectifs, et nous nous retrouvions sur la plage. Pêche à la crevettes, premiers cours d’Optimiste, premières sorties, premiers amours tout y est…. L’examen des photos se fait sans bruit, nulle n’ose briser le silence. La dernière page provoque un flot de sanglots : la copie du serment du bassin, et un QR code (NDLR : lien internet vers une page web). À l’aide de mon téléphone, je le scanne, Marie apparait sur la vidéo !
« Coucou les filles. Si vous voyez cette vidéo, ce satané crabe a gagné. Ne pleurez pas, j’ai pris tellement de plaisir à vivre notre histoire. Ce message, c’est ma façon à moi de respecter notre serment. Bien sûr, j’imagine que Gabriele a préparé ma chambre avec soin, Laura a mis mon couvert à chaque repas et Aurore a préparé avec double dose de menthe mon verre de Mojito. Avec cette vidéo, je veux donner un coup de pouce à votre imaginaire. Vous dire, je suis là. Allez, faites moi plaisir crions ensemble une dernière fois notre Yallah,…Yallah ! »
Sous le choc nous entonnons un magnifique Yallah. En pleurs, nous tombons dans les bras les unes des autres.

L’été de nos onze ans

Gabriele
« Ils m’envoient l’été prochain en Angleterre !  » Laura arrive en pleurant sur la plage. « Non ! » nous réagissons d’une seule voix. « Ils disent qu’il est temps de grandir et qu’un voyage à l’étranger me fera le plus grand bien. Pfff, ils n’y connaissent rien. Et puis l’année prochaine c’est le début des cours de catamaran, vous allez toutes progresser et moi… » Aurore lui coupe la parole :  » pas question d’être ici sans toi. Je vous propose un pacte : ici à quatre ou aucune ». C’est ainsi que le serment du bassin est né. Écrit sur une feuille de cahier d’écolier paraphé de nos signatures enfantines. D’autorité, Marie le met dans son sac. Elle nous enverra plus tard une copie, je choisirai de cacher la mienne dans mon sac de plage.

Mai 2023

Gabriele
Laura brise le silence et balbutie : « mais comment, comment est-ce possible, comment a-t-elle fait ? ». Je lui réponds : « J’imagine qu’elle avait tout prévu avec son avocat dès l’annonce de sa maladie » .
– « Elle nous connaissait si bien, elle savait que pour honorer notre parole nous n’hésiterions pas à faire comme si , comme si elle était là » renchérit Aurore. C’est alors que je suis prise d’un fou rire qui contamine Laura et Aurore. Nous nous mettons alors à chanter d’une seule voix,

« Nous quatre, nous quatre ici comme promis, merci Marie« .